Jamaica Kincaid. Mon Frère. Éditions de l’Olivier, Paris : 2000.

Le roman commence abruptement quand la narratrice, l’autrice, raconte avoir revu son frère pour la première fois depuis très longtemps alors qu’il est mourant du Sida au Holberton Hospital d’Antigua. Cette entrée en matière brutale ouvre un roman en deux parties, un premier séjour de la narratrice auprès de son frère puis un deuxième à l’occasion de son enterrement après que son frère eut connu une brève rémission grâce à l’AZT qu’elle peut lui procurer à partir des États-Unis.

Dès la première phrase, l’autrice nous plonge ainsi directement dans ce qui va faire l’objet de son livre, la mort puis l’enterrement de son frère, mais surtout sa vie, telle que la voit la narratrice. C’est aussi la relation compliquée avec sa mère et sa famille en général, dont son frère, qui est évoquée. En effet, la narratrice est plus âgée de treize ans que son frère et elle a du en prendre en soin quand sa mère s’absentait, mais cela n’a pas créé de liens forts entre eux, car elle préférait les livres.

Plus que le frère, c’est cependant la mère qui occupe l’esprit de la narratrice qui revient sans cesse sur plusieurs épisodes de son enfance, notamment le jour où sa mère a brûlé ses livres. Pour autant, elle n’en fait pas une méchante femme ni une mauvaise mère.

La deuxième partie du roman se déroule à Antigua à l’occasion de l’enterrement de son frère, mais aussi aux États-Unis, où d’ailleurs la narratrice va apprendre quelque chose qu’elle ne soupçonnait absolument pas sur son frère et donne une nouvelle coloration au récit.

Cependant, plus qu’une simple chronique familiale, Jamaica Kincaid aborde ici toute la complexité des sociétés antillaises avec un regard particulièrement acéré, n’hésitant pas à en relever les contradictions, notamment morales, mais aussi l’intolérance de ces sociétés envers ceux qui sont différents.

Un des grands enjeux du récit est la langue, puisque à plusieurs reprises la narratrice souligne qu’elle ne parle plus le même anglais que celui de sa famille, mais une langue beaucoup plus proche de l’anglais standard. Pour illustrer cette différence, les traducteurs ont fait le choix de traduire les phrases dites dans le créole d’Antigua en créole de Guadeloupe, mais en francisant sa graphie, ce qui produit le même sentiment de proximité et d’étrangeté que doit ressentir un lecteur anglophone, ainsi la phrase : « Me no get dat chupidness mahn », première phrase du roman en créole antiguais est traduite par « Oufou ! Moi péké jamé pren’ cochonnerie la ça ».

Au-delà de l’histoire poignante du frère de la narratrice et surtout de leur relation avec leur mère commune, c’est toute sa biographie qu’elle évoque, et plus que les personnes, c’est la société antiguaise qui est scrutée sans complaisances ni illusions, notamment son puritanisme hypocrite, mais aussi son mal-développement et sa corruption. La dureté du regard fait penser à certains romans de Maryse Condé, mais aussi au roman La couleur de l’agonie de Gisèle Pineau dont la Guadeloupe ressort décapée, mais ce qui est frappant, en particulier dans la traduction en français, c’est un style qui évoque Annie Ernaux par sa simplicité et sa netteté.

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