Christian V et la Compagnie des Indes occidentales
Malgré l »échec de leur première colonie à Saint-Thomas, les rois du Danemark ne renoncent pas à faire rayonner leur pays sur la scène mondiale. En 1668, un bureau du commerce est créé pour favoriser les échanges internationaux et la montée sur le trône de Christian V en 1670 donne un nouvel élan à la politique colonisatrice du Danemark.

Couronné le 7 juin 1670 roi du Danemark et de Norvège, Christian V signe avec Charles II, roi d’Angleterre et d’Écosse, le traité de Copenhague le 11 juillet 1670. Il prévoit des facilités commerciales entre les quatre pays, ainsi qu’une alliance entre eux et donc la fin des attaques sur leurs colonies respectives. Le 11 septembre de la même année, Christian V donne ses premières instructions au Bureau du commerce. Il en confie la présidence à son fils, Ulrik Frederik Gyldenløve, auparavant gouverneur général de Norvège et la vice-présidence à Jens Juel, un diplomate longtemps en poste en Suède et frère du grand amiral Niels Juel qui développa considérablement la marine du Royaume du Danemark. Les autres membres du conseil étaient d’importants marchands danois ou hollandais ou de grands officiers de la Couronne.
Pour achever le processus, une Compagnie des Indes orientales est créé le 20 novembre 1670, après celle qui avait existé de 1616 à 1650 et le 11 mars 1671, c’est la Compagnie des Indes occidentales qui voit le jour. Ses directeurs sont trois membres du Conseil du commerce, Jens Juel, Peter Peterson Lerke, Maître de la Monnaie Royale et Peder Griffenfeld, le favori et principal conseiller de Christian V. La charte de la compagnie l’autorise à prendre possession et à exploiter l’île de Saint-Thomas, mais aussi toutes les îles alentours ou des parts du territoire de l’Amérique continentale qu’elle estimerait inhabitées et propres à l’exploitation agricole.
Jørgen Iversen, un pionner à poigne
Dès la création de la Compagnie, les directeurs nomment un nouveau gouverneur pour Saint-Thomas, Jørgen Iversen. Dès l’age de douze ans, ce dernier s’était engagé auprès d’un marchand faisant commerce avec les Antilles avant de se mettre au service d’un marchand anglais de Saint-Christophe. Après être revenu en Europe en 1660, il s’associe à des marchands zélandais pour une expédition commerciale en direction des Antilles, mais à son retour des Îles, son navire est capturé par des corsaires anglais. Il doit alors se rapprocher de la cour danoise pour obtenir un retour de son navire et des indemnités par la voie diplomatique. Ses connaissances intéressent particulièrement le roi et la cour et à trente-deux ans, il apparaît comme la personne idéale pour diriger la future colonie, lui-même investit plus de mille livres dans l’aventure.
Le Ferö, chargé de transporter les nouveaux colons et le matériel nécessaire à leur installation, quitte le Danemark le 26 février 1672. Il a été précédé par The Gilded Crown, qui doit faire une navigation de reconnaissance pour s’assurer que l’île n’a pas été occupée par les Anglais. L’équipage comprend une douzaine d’hommes pour cent seize passagers qui se sont engagés comme futur employés de la Compagnie, mais il y a aussi soixante-et-un prisonniers sélectionnés dans les différentes prisons du royaume. À mesure que le navire s’approche des eaux chaudes, les voyageurs souffrent et quatre-vingt-six personnes meurent avant que le navire aborde enfin la côte de Saint-Thomas le 25 mai 1672.
Le 26 mai 1672, les colons débarquent, hissent le drapeau danois et prennent formellement possession de l’île. Ils sont alors les seuls habitants, car les Anglais qui l’occupaient quelques semaines auparavant sont partis en brûlant leurs installations. Très rapidement les colons danois sont rejoints par d’autres nationalités, Français, Allemands, Anglais et surtout des Néerlandais venus fuir les îles colonisées par les Anglais alors que vient de commencer la troisième guerre anglo-néerlandaise (1672-1674), parmi les nouveaux colons se trouvent aussi de nombreux juifs. Très rapidement les Néerlandais, qui pour beaucoup fuient l’île de Tortola suite à sa prise par les Anglais, deviennent les habitants les plus nombreux et le néerlandais la langue dominante à Saint-Thomas.

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Mais la colonie ne se développe pas aussi rapidement que l’avait prévu ses promoteurs. La principale difficulté est d’avoir la main-d’œuvre suffisante pour développer l’île, d’autant que les Danois veulent cultiver la canne à sucre qui rapporte beaucoup, mais nécessite beaucoup de travailleurs. Il est d’abord prévu de faire venir des colons du Danemark sous la forme d’engagés venant d’Europe, mais la compagnie à beaucoup de mal à recruter des personnes qualifiées et finit par se rabattre sur des bagnards et autres forçats. De plus les voyages sont particulièrement périlleux et nombreux sont les colons qui meurent peu après leur arrivée sur l’île. Ainsi le Pélican qui aborde Saint-Thomas le 29 mars 1673 a perdu sept de ses voyageurs pendant le voyage, puis cinquante-trois après les avoir débarqués.
Finalement, le 28 novembre 1673, Christian V autorise par édit la Compagnie a envoyé des navires sur la côte de Guinée pour acheter et ramener des esclaves vers Saint-Thomas. Pour cela, la Compagnie des Indes occidentales fusionne avec la Compagnie danoise d’Afrique qui devait exploiter Fort Christiansborg (aujourd’hui à Accra au Ghana), un comptoir dévolu principalement au commerce des esclavagisés dont les Danois s’étaient emparés en 1672. C’est sous l’égide de cette compagnie d’Afrique que cent trois esclavagisés arrivent à Saint-Thomas en 1673 à bord du Cornelia, un navire appartenant au marchand Jørgen Thor Møhlen.
Cette première arrivée est complétée par un second voyage et par des achats dans les îles aux alentours. Les marchands néerlandais sont particulièrement actifs dans ce commerce, un certain Landert van der Busse propose ainsi à la Compagnie l’achat de seize esclavagisés en 1678. Malgré ses efforts, la population croit modestement, passant de deux cents habitants, dont cent esclavagisés africains, en 1673 à cent cinquante-six blancs et cent soixante-quinze noirs en 1680.
Même si la colonie danoise reste somme toute modeste, elle n’en déclenche pas moins les protestations des puissances alentours qui dénient aux Danois le droit de s’emparer de Saint-Thomas. Si les protestations anglaises et espagnoles sont réglées par la voie diplomatique, car ni les Anglais ni les Espagnols n’occupaient l’île de Saint-Thomas quand les Danois arrivèrent, les Français, qui possédaient alors l’île de Sainte-Croix, à une soixantaine de kilomètres de Saint-Thomas, contestent fortement l’arrivée des Danois et le gouverneur Jean-Charles de Baas interdit tout commerce des îles françaises avec les Danois.
Cependant la guerre de Hollande qui empêche le commerce régulier entre la France et ses colonies d’Amérique, les menaçant de famine, oblige de Baas à autoriser le commerce entre Saint-Thomas et les îles françaises. La situation entre les Danois et les Français reste difficile et après plusieurs escarmouches, les Français attaquent Saint-Thomas le 2 février 1678. Ils échouent devant la résistance menée par le gouverneur Iversen, mais repartent en s’étant emparé de quelques esclavagisés et libres de couleur.
Malgré le fait d’avoir victorieusement défendu l’île contre les attaques françaises, Iversen est de plus en plus contesté pour la brutalité de son gouvernement par une partie de la population, de plus il perd sa femme et finalement il demande à être remplacé l’année suivante. Malgré ses succès et les sommes investies, les actionnaires de la Compagnie n’ont toujours pas touché les dividendes de leur investissement initial. La fin de la Guerre de Hollande en 1678 et celle de la Guerre de Scanie en 1679 ouvrent pour le Danemark la possibilité de se relancer dans la compétition coloniale.
Les frères Esmit, pirates et incompétents
Mais ce n’est pas exactement ce qui va se passer. Après un gouvernorat d’Inversen dont les actionnaires de la compagnie estimaient qu’il ne leur avait pas assez rapporté, ils décident de nommer Nicolai Esmit comme gouverneur de Saint-Thomas.
Nicolai Esmit est né dans le Holstein et avait servi les Anglais en Jamaïque dès la fin de son école. Il avait donc une certaine expérience de la Caraïbe, mais surtout, il est le seul candidat à se présenter quand les directeurs de la compagnie cherchent un successeur à Inversen. Le nouveau gouverneur est lui-même propriétaire sur l’île bien qu’il n’y ait jamais mis les pieds.
Quand il débarque le 4 juillet 1680, il trouve une colonie assez prospère avec cinquante habitations dont quatre seulement ne s’étaient pas relevées de l’attaque française de 1678, une route parcourant l’île et un solide fort protégeant le port. Son prédécesseur n’a même pas embarqué pour retourner au Danemark qu’Esmit se met à l’écoute de ses opposants et libère ceux-ci de prison.
Mais le principal défaut d’Esmit, malgré sa connaissance de la Caraïbe est de ne pas comprendre que la situation du Danemark est précaire. En effet, il est coincé entre les Espagnols qui considèrent toujours que les Antilles sont leur propriété, même s’ils n’ont plus les moyens de les contrôler et préfère concentrer leurs efforts sur le continent américain et les deux nouvelles puissances montantes dans la région, les Anglais et les Français qui s’installent de plus en plus durablement et développe des colonies agricoles dédiées au sucre ou à d’autres productions.
Bien qu’ennemies en Europe, ces puissances n’ont pas l’intention de laisser s’installer aux Antilles un troisième acteur qui viendrait troubler le jeu. Installés à moins de soixante kilomètres d’une île française (Sainte-Croix) et surtout à moins de quinze kilomètres de Tortola, britannique, les Danois ont tout intérêt à jouer profil bas. C’est le choix inverse qui est fait par Nicolai, puis par son frère Adolphe qui réussit à se faire nommer gouverneur en montant des planteurs contre son frère à l’automne 1682. Ils décident de donner refuge aux pirates et autres flibustiers dans les autres puissances européennes veulent débarrasser la Caraïbe orientale. L’affaire la plus retentissante concerne Jean Hamlin, et son navire La Trompeuse.
On ignore la date de naissance comme la première partie de la vie de Jean Hamlin ou Hamlyn, mais tous s’accordent pour le dire français. Il entre sur la scène de l’histoire caribéenne en capturant la frégate La Trompeuse qui avait déjà changé de mains à plusieurs reprises. À bord de ce navire et avec cent vingt hommes d’équipage, il capture et pille dix-huit navires de Jamaïque. Le gouverneur de cette île, Thomas Lynch, est évidemment furieux et envoie deux navires à la poursuite d’Hamlin, l’un d’entre eux, le HMS Guernsey, trouve La Trompeuse, mais caréner de frais, cette dernière lui échappe. Lynch fait alors appel à John Coxon, un ancien pirate devenu chasseur de pirates pour attraper Hamlin, mais lui aussi échoue à capturer.

(Illustration issue de : Paiewonsky, Isidor, The Burning of a Pirate Ship La Trompeuse in the Harbour of St. Thomas, July 31, 1683 and Other Tales: Also the Case against Adolph Esmit, Governor of St. Thomas, 1682-1684, Harbourer of Pirates (New York: Fordham University Press, 1992))
Entre temps, Hamlin s’est refugié dans le port de St-Thomas. Averti de cette situation, Thomas Lynch écrit à John Robartes, Lord président du Conseil, pour lui signaler que l’île de Saint-Thomas abritait le célèbre pirate. Le gouvernement anglais sollicité par l’ensemble des gouverneurs aux Antilles, Thomas Lynch en Jamaïque et William Stapleton pour les Îles-sous-le-vent, envoie le HMS Ruby, commandé par Richard May pour protéger les établissements anglais dans la Caraïbe et traquer les pirates. Le HMS Ruby visite le port de Saint-Thomas en juillet 1683 sans trouver traces d’Hamlin. Ce dernier avait sans doute été prévenu par le gouverneur Esmit de l’arrivée du navire anglais.
Le 30 juillet 1683, c’est le HMS Francis, commandé par Charles Carlisle qui arrive dans le port de Saint-Thomas. Il venait apporter des munitions et des équipements pour les forts anglais construits à Saint-Christophe, Nevis, Antigua et Montserrat. À sa grande surprise, il est accueilli dans le port par des tirs venant aussi bien de La Trompeuse, qui était dans la rade, que du fort de l’île. Le lendemain, Carlisle envoie une demande d’explication au gouverneur Esmit. Ce dernier répond qu’il a pris La Trompeuse sous sa protection et fait débarquer ses hommes, mais cette explication n’arrange pas sa situation car elle fait de lui le seul responsable des tirs contre le HMS Francis. Il essaye alors de convaincre Carlisle de débarquer en l’invitant à dîner, mais ce dernier n’est pas d’humeur a accepté l’invitation et envoie ses hommes brûler La Trompeuse qui coule dans la journée du 31 juillet.
En même temps, il menace Esmit de faire venir trois autres frégates s’il ne lui remet pas les pirates anglais qui ont débarqué sur l’île. Esmit continue à nier avoir tiré intentionnellement sur le HMS Francis, pour lui le tir de canon était un salut qui a mal tourné. Il prévient ensuite le gouverneur de Sainte-Croix, que les Anglais avaient brûlé des propriétés d’un sujet français et proteste devant Carlisle que La Trompeuse était devenue la propriété du roi du Danemark. Carlisle quitte Saint-Thomas sans avoir capturé Jean Hamlin, mais il prévient le gouverneur Stapleton qu’il est certainement réfugié sur l’île avec l’aide d’Esmit.
Cette affaire finit de convaincre Stapleton qu’il faut absolument agir contre Esmit. Il écrit aux Lords du Commerce et des Plantations, organe chargé des affaires coloniales au sein du gouvernement anglais d’envoyer de toute urgence de nombreux et bons navires dans les Îles sous le Vent. Le gouvernement anglais demande lui aussi à ce que les Danois fassent quelque chose pour que cesse cette situation. Le 14 novembre 1683, Christian V par un ordre en son conseil autorise le gouverneur Stapleton à s’emparer de la personne du gouverneur Esmit et faire obstacle à tous les pirates voulant débarquer dans le port de Saint-Thomas. Par ailleurs, les directeurs de la Compagnie décident de nommer un nouveau gouverneur. Leur choix se porte d’abord sur Inversen qui souhaite reprendre du service, mais il disparaît lors d’un naufrage en retournant à Saint-Thomas pour prendre son poste.
Gabriel Milan, la folie des grandeurs
Les directeurs choisissent alors, le 14 mars 1684 un nouveau gouverneur, Gabriel Milan. Sa nomination est approuvée par le roi le 7 mai.
Sur le papier, le nouveau gouverneur possède de nombreuses qualités qui doivent lui permettre de redorer le blason des Danois aux Antilles, en particulier vis-à-vis des Anglais, et rendre cette colonie enfin profitable, ce qu’espèrent les directeurs de la Compagnie. Il est né dans une riche famille juive du Portugal ayant des connexions en Flandre et à Hambourg. Il se fait appeler Don Franco de Tebary Cordova dans sa correspondance avec le roi. D’après lui, né en 1631, il aurait commencé sa carrière comme soldat, puis aurait travaillé avec le cardinal Mazarin avant de devenir marchand à Amsterdam à la fin des années 1660. C’est là, qu’il entre en contact avec les Danois dont il devient un correspondant à Amsterdam avant d’en devenir le représentant général en 1670. Cette fonction lui permet d’entrer en contact avec de nombreuses personnalités de la haute société danoise, précisément celles qui seront ensuite à la tête du Conseil du commerce et de la compagnie des Indes occidentales. Pour montrer sa volonté de servir la monarchie danoise, il produit même le 18 janvier 1682 un certificat confirmant qu’après avoir discuté avec un pasteur allemand sur les mérites comparés du luthéranisme et du catholicisme, il était persuadé de la vérité de la confession d’Ausbourg et avait pris la communion dans une église luthérienne.
En plus de sa nomination, le roi met à la disposition de Christian Milan un navire de guerre, le Fortuna, commandé par Georg Meyer armé de quatre-vingts canons. La compagnie lui adjoint aussi Niels Lassen, appelé à lui succéder si Milan meurt. Le nouveau gouverneur ne part pas tout de suite, car il doit attendre à Copenhague la lettre du roi Charle II ordonnant au gouverneur Stapleton de l’aider si Esmit résistait.
Le Fortuna arrive à Saint-Thomas le 13 octobre 1684 après neuves semaines de voyage. Le 6, il s’était arrêté à Nevis pour présenter ses respects au gouverneur Stapleton et écouter les dernières instructions. L’arrivée du Fortuna et de son remplaçant ne surprend pas vraiment Esmit. Avec l’aide de complices, il a transporté une grande partie de ses biens vers l’île néerlandaise de Saint-Eustache à plus de deux-cent kilomètres de Saint-Thomas. Pour essayer de récupérer ces biens et alors que les instructions de Milan était seulement de s’emparer de la personne d’Esmit, le nouveau gouverneur envoie un représentant auprès du gouverneur de Saint-Eustache, Louis Houctooper, pour lui demander de lui renvoyer les marchandises envoyées par Esmit. Mais au lieu de prendre le contrôle des marchandises selon une procédure normale, il autorise Joachim Delicaet, un colon de l’île qui s’était opposé à Esmit tout en participant aussi à des opérations de piraterie, à s’emparer du navire de la Compagnie qui transportait les marchandises de retour.
Cette action est la première d’une série qui conduire la situation de Saint-Thomas à empirer. Bien loin de rétablir des liens diplomatiques normaux avec les colonies anglaises, françaises ou néerlandaises qui l’entourent, Gabriel Milan, va au contraire multiplier les provocations. Ceux des colons qui espéraient un retour à une certaine normalité avec le nouveau gouverneur sont rapidement écartés par ce dernier, sans parler de ceux qui espéraient bien recevoir le mandat de la part de la Compagnie en remplacement d’Esmit et dont les espoirs déçus alimentent rapidement la jalousie puis l’opposition à Milan. La situation empire encore après le départ du Fortuna, le 31 mars 1685, qui ramène quelques marchandises à Copenhague, mais sans Esmit, contrairement aux instructions formelles des directeurs de la Compagnie ce qui inquiète ces derniers.
Pendant ce temps à Saint-Thomas, Milan est de plus en plus suspicieux envers les planteurs, persuadé qu’ils complotent contre sa vie et cruel envers les esclavagisés. Ainsi un évadé qui avait été gracié est finalement empalé vivant, un autre évadé a le pied coupé et est confisqué par le gouverneur pour son service personnel.
Sans être informés de toutes ces affaires, mais conscients que la situation ne tourne pas du tout comme ils l’espéraient, les directeurs renvoient le Fortuna à Saint-Thomas avec à son bord un procureur, Mikkel Mikkelsen, nommé par le Roi avec les pleins pouvoirs pour enquêter et rétablir la situation. Il quitte Copenhague le 15 octobre 1685, toujours à bord du Fortuna, accoste à Niévès le 19 février 1686 pour avoir les dernières nouvelles de Saint-Thomas et arrive à sa destination finale le 24 février.
Mais Gabriel Milan a été prévenu par son fils qu’un nouveau gouverneur arrivait pour le remplacer. Il convoque alors tous les colons à l’église pour les informer qu’un nouveau complot se trame contre lui qui a pour but de le remplacer par Mikkelsen. Ce dernier arriverait avec l’ordre de pendre tous les colons pour avoir été ses complices. Il leur fait alors signer un document affirmant qu’ils préféreraient quitter l’île plutôt que le gouverneur la quitte.
En parallèle, Milan monte une opération de diversion en ordonnant au capitaine Daniel Moy, à bord du Charlotte-Amalia, un navire de la compagnie, de partir à l’attaque de tous les navires espagnols qu’il pourrait rencontrer. Ce dernier commande un modeste navire de commerce dont l’équipage comprend une trentaine d’hommes, maisi il part en guerre contre la première puissance de la Caraïbe. Il n’a pas de mal à trouver une proie le long des côtes de Porto Rico, mais le premier navire auquel il s’attaque lui répond par une bordée de canon qui tue un de ses hommes et lui en blesse un autre, l’obligeant à une piteuse retraite vers Saint-Thomas.
Mais avant qu’il ne soit revenu au port, Mikkelsen a débarqué dans le port de Saint-Thomas et mis le siège à la résidence du gouverneur, abandonné peu à peu par ses hommes et accusé de rébellion Milan Garcia se rend à l’envoyer du roi après trois jours de discussion. Mikkelsen installe une garde de douze hommes venus avec lui et de douze planteurs dans la résidence du gouverneur et sort l’ancien gouverneur, Adolph Esmit, de la prison où l’avait enfermé Milan.
Dans la capitale danoise, Nicholas Esmit attend lui aussi impatiemment l’arrivée de son frère et de Gabriel Milan pour pouvoir se défendre face aux accusations de la Compagnie. Durant son séjour Mikkelsen mène des auditions et enquêtes pour comprendre la situation tout en exerçant les fonctions de gouverneur. Le 29 juin 1686, il transmet ses pouvoirs de gouverneur à Christopher Heins qui faisait office de vice-gouverneur et il embarque pour Copenhague le 5 juillet avec les deux ex-gouverneurs, leurs familles et des serviteurs de ces derniers, ainsi que d’habitants de l’île qui devaient témoigner devant les juridictions mises en place pour juger les trois derniers gouverneurs de l’île.
Les procès et le retour raté d’Adolph Esmit
Après plusieurs procès en première instance et en appel, Gabriel Milan est finalement condamné le 21 mars 1689 à avoir la tête et le poing tranché. Christian V lui épargne cette dernière disgrâce et il est décapité le 26 mars 1689 sur la Kongens Nytorv (Nouvelle place royale) de Copenhague.
Dans le cas des procès des frères Esmit, Nicolai est reconnu malade et Adolph est finalement jugé non-coupable le 2 novembre 1687. Le même jour, les directeurs de la compagnie le nomment à nouveau gouverneur de Saint-Thomas. Il embarque alors avec son épouse quelques jours plus tard pour reprendre son poste aux Antilles, à la tête d’une petite flotte de trois navires commandée par le vice-amiral Iver Hoppe. Il semblerait, selon une lettre de l’ambassadeur de Suède à Copenhague, qu’Esmit ait réussi à convaincre les directeurs et le roi qu’un galion chargé d’argent comme jamais s’était échoué une quarantaine d’années auparavant près de Saint-Thomas. Les navires emportaient donc avec eux des machines permettant de creuser le sable pour retrouver l’argent. Les directeurs et le roi préférant un gain rapide au développement patient de la colonie. Mais quand la petite flotte arrive enfin sur les lieux en février 1688, les Anglais avaient déjà retrouvé et nettoyé le navire de son trésor.
Quant à son poste de gouverneur, il fut lui aussi de courte durée. Le vice-amiral Iver Hoppe rassemble tous les habitants de Saint-Thomas le 7 juillet 1688 pour vérifier l’affirmation d’Esmit que les colons le chérissaient et ne voulait que lui comme gouverneur. Hoppe déclare : « Si vous voulez Adolph Esmit comme gouverneur, parlez maintenant avant qu’il ne soit trop tard. » Tous les planteurs répondent d’une seule voix : « Non ! Si cela arrive, nous quittons tous l’île ! » Et quand Hoppe leur demande ce qu’ils pensent de Heins, redevenu vice-gouverneur mais dirigeant l’île de fait, ils repondent qu’ils ne veulent pas de meilleur gouverneur que ce dernier. Le sort d’Adolphe Esmit est scellé et il repart alors vers Copenhague. Là bas, il échappe à un nouveau procès en se réfugiant dans le duché de Courlande. Son frère vécut d’une petite pension à Copenhague.
La fin du gouvernorat des frères Esmit et de Gabriel Milan marque la fin d’une première période de la colonisation danoise dans les Antilles, plus marquée par les difficultés que par les succès. Mais les Danois ne renoncent pas pour autant à leur projet et vont trouver un moyen inédit de gagner de l’argent avec leur colonie insulaire.
Bibliographie
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Dookhan, Isaac, A History of the Virgin Islands of the United States (Kingston: Canoe Press, 1994)
Marley, David, Pirates of the Americas (ABC-CLIO, 2010)
Paiewonsky, Isidor, The Burning of a Pirate Ship La Trompeuse in the Harbour of St. Thomas, July 31, 1683 and Other Tales: Also the Case against Adolph Esmit, Governor of St. Thomas, 1682-1684, Harbourer of Pirates (New York: Fordham University Press, 1992)
Westergaard, Waldemar Christian, The Danish West Indies under Company Rule (1671-1754) (New York: The Macmillan company, 1917)
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