Harry Belafonte est-il de Bellefontaine, Martinique (F. W. I.) ?

La mort de l’immense chanteur et militant des droits civiques fait resurgir la rumeur qu’il aurait des origines martiniquaises. Certains allant même jusqu’à dire que son nom serait une déformation de la commune d’origine supposée de son père, Bellefontaine, sur la côte caraïbe de l’île.

Cependant, cette rumeur ne semble pas fondée.

Pour l’instant l’acte de naissance du père d’Harry Belafonte, Harold Bellanfanti, n’est pas public, il est donc compliqué d’avoir une certitude absolue.

Cependant, la lecture des mémoires d’Harry Bellafonte, My song : a memoir of art, race, and defiance (New York : Vintage Books, 2012, première édition Knopf, 2011) nous apprends à la page 27 :

Harold [son père] was jamaican, like Millie [sa mère], the child of a mixed-race union. His mother was a black Jamaican, his father a white Dutch Jew who’d drifted over to the islands after chasing gold and diamonds, with not luck at all, in the newly formed colonies of West Africa. Harold had grown up just as poor as Millie, but he was making a career for himself as a cook, sometimes in New York restaurants, more often on United Fruit Company boats – banana boats – between New York and various Caribbean and South American ports.

[Harold était Jamaïcain, comme Millie, l’enfant d’une union mixte. Sa mère était une Jamaïcaine noire, son père un Hollandais juif blanc qui avait erré sur les îles après avoir cherché de l’or et des dimants, sans le moindre succès, dans les nouvelles colonies formées en Afrique de l’Ouest. Harold avait grandi aussi pauvre que Millie, mais il avait fait carrière par lui-même comme cuisinier, quelques fois dans des restaurants de New York, le plus souvent sur les bateaux de bananes de l’United Fruit Company, entre New York et des ports de la Caraïbe et d’Amérique du Sud. (traduction de l’auteur)]

Selon M. Belafonte, il n’y a donc pas de lien entre son père et la Martinique.

L’origine de cette rumeur semble s’expliquer aux pages 41 à 43 de ses mêmes mémoires.

En 1940, sa mère, qui s’est séparée de son père, vient chercher le jeune Harry et son frère qui vivaient chez leur grand-mère en Jamaïque pour les ramener vivre avec elle aux Etats-Unis. Comme l’explique M. Belafonte, sa mère avait peur que le Royaume-Uni perde la bataille d’Angleterre face à l’Allemagne nazie et que les colonies britanniques tombent alors sous le joug hitlérien.

Elle s’installe avec ses deux fils dans un nouvel appartement à Harlem, mais rapidement celui-ci s’avère trop petit. Elle choisit alors un nouvel appartement, au coin de la 130e rue et d’Amsterdam Avenue, dans une autre partie de Harlem. Le problème est que cet immeuble est interdit aux noirs. Elle décide donc de se présenter comme Espagnole, non pas de Porto Rico ou d’Amérique latine, mais bien d’Espagne, et le stratagème fonctionne.

Commence alors pour Harry, ce qu’il appelle sa « ‟passing‟ period ». En sortant de son immeuble le premier jour, il est interpellé par les enfants qui étaient là, majoritairement d’ascendance grecque ou irlandaise :

– Hey, tu es un N…. !

– Non, j’en suis pas un.

– T’es sûr, pourtant tu ressembles à l’un d’eux.

– J’en suis pas.

– Tu as des cheveux comme l’un d’eux.

– Sauf si tu as aussi été pris dans un incendie comme moi, tu vas fermer ta putain de gueule !

[traduction de l’auteur]

Et Harry Belafonte s’éloigne alors avec assurance.

Il soutient alors son histoire auprès de ses nouveaux voisins, et comme il le précise, son nom, Belafonte, aux relents français, lui permet de faire croire que son grand-père du côté de son père venait de Martinique et que sa famille venait d’Europe. Il ne précise pas pourquoi il a choisi la Martinique et pas une autre île de la Caraïbe, mais en tout cas il semble clair que lui même ne pensait pas que sa famille venait de l’île, et encore moins de la commune de Bellefontaine.

Par ailleurs, il semble que pendant cette période il a très peu vu son père et il reconnaît lui-même qu’il avait peu d’intimité avec ses voisins, car sa mère était femme de ménage alors que ses voisins étaient davantage issus des classes moyennes. Son histoire inventée d’un père aux origine martiniquaises et européennes ne pouvait donc pas être démentie.

Au-delà de ces histoires de jeunesse, la première mention de l’origine éventuellement martiniquaise de M. Belafonte vient du livre d’Arnold Shaw, Belafonte: An Unauthorized Biography (Philadelphia : Chilton, 1960) à la page 20, dans le chapitre intitulé « Frenchy », il écrit :

Both his parents came from the West Indies. His mother, Melvine Love, was from Jamaica (B.W.I.) and his father, from Martinique (F.W.I.). During Wolrd War I, while serving as a cook in the Royal Navy, his father gave up his French citizenship to become a British subject. Each of his parents was the product of a mixed marriage, his paternal grandfather and his maternal grandmother both being white.

[Ces deux parents viennent des Antilles. Sa mère, Melvine Love, est de Jamaïque (Antilles Britanniques) et son père de Martinique (Antilles françaises). Durant la Première Guerre Mondiale, alors qu’il servait comme cuisinier dans la Royal Navy, son père abandonna la citoyenneté française pour devenir un sujet britannique. Chacun de ses parent était le fruit d’une union mixte, son grand père paternel et grand-mère maternelle étaient blanc tous les deux. (traduction de l’auteur)]

L’auteur semble avoir repris, sans le moindre recul critique l’histoire que racontait M. Belafonte à ses amis. Cette hypothèse semble d’autant plus vraisemblable qu’à la page 8, en conclusion de son introduction il indique avoir interrogé des amis et des proches d’Harry Belafonte, mais pas M. Belafonte lui-même.

La biographie d’Arnold Shaw semble avoir été la plus complète et avoir fait autorité sur cette question, au point d’être reprise dans l’Encyclopedia Universalis, jusqu’à la parution des mémoires d’Harry Belafonte lui-même en 2011, où il fait un sort à cette rumeur.

[Mise à jour du 6 mai 2023]

Avec l’habituelle agitation qui entoure tout décès de personnalité éminente, on voit circuler sur les internets une photo montrant la demande en 1923 du père d’Harry Belafonte, Harold Belanfante, pour devenir citoyen américain. Son lieu de naissance est bien indiqué comme étant la Jamaïque.

Enfin, le centre Shomburg pour les études africaines américaines conserve, une division de la Bibliothèque publique de New-York, conserve une photo mise en ligne de la cérémonie de naturalisation des parents d’Harry Belafonte.

Cette photo ne dit rien du lieu de naissance de son père, mais elle est émouvante. Il n’est pas précisé pourquoi Harold Belanfante Sr. a attendu si longtemps entre sa première demande et sa naturalisation effective.

Sources :

Belafonte, Harry, My Song : A Memoir of Art, Race, and Defiance (New York: Vintage Books, 2012).

Shaw, Arnold, Belafonte, an Unauthorized Biography, The Archive of Contemporary Music (Philadelphia: Chilton, 1960).

Ancestry.com. New York, New York, U.S., Index to Declarations of Intent, 1907-1924 [database on-line]. Provo, UT, USA: Ancestry.com Operations Inc, 2003. Original Data: New York State Supreme Court. Declarations of Intention filed in New York County, 1907-1924. . County Clerk’s Office, New York County, New York.

Schomburg Center for Research in Black Culture, Photographs and Prints Division, The New York Public Library. « The Belafontes become citizens » The New York Public Library Digital Collections. 1960. https://digitalcollections.nypl.org/items/510d47df-8861-a3d9-e040-e00a18064a99

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :