L’histoire commence avec deux complices, plutôt que deux amis, qui veulent hacker l’appartement de la copine de l’un d’entre eux, Joe. L’autre, Pat, veut ensuite sauver le monde. Le parcours de ces deux personnages à l’intérieur de Lanvil, aussi bien en haut (Anwo) qu’en bas (Anba) nous fait entrer dans une autre géographie caribéenne, où les îles ont été remplacées par des secteurs, de Cuba au Venezuela, même si les noms permettent de nous situer en Martinique et plus particulièrement à Fort-de-France.
Chacun des personnages poursuit une quête, mais l’objet de celle-ci ne se découvre que peu à peu au fil des monologues intérieurs de chacun d’entre eux qui peu à peu construise l’histoire. L’une des plus intéressante est celle de Pat, perd d’un des personnages et ancien militant syndical qui semble s’être rangé de l’activisme. Il est à la recherche du « Tout Monde ». Ce nom évoque évidemment Édouard Glissant, mais alors que chez lui, le Tout-Monde était une relation, notre monde tel qu’il se modifie en échangeant, pour Pat, le Tout-Monde est devenu un lieu un mythique et secret, une sorte de paradis perdu.
Finalement, c’est par des voies inattendues que l’on finit, et Pat aussi, à arriver au Tout-Monde. Sans dévoiler l’intrigue, il s’agit d’un endroit bien concret, mais dissimulé quelque part sous l’Anvil. Par ailleurs la façon d’y arriver, n’est pas du tout celle que l’on attend, car un des personnages, l’un des plus mystérieux d’ailleurs, puisque nous n’atteignons jamais sa pensée intérieure, finit par y amener l’une des narratrices, révélant ainsi qu’y compris parmi les mieux intégrer au système, il y a une part de révolte. Mais ce Tout-Monde est un peu décevant, car finalement, il apparaît plus comme une sortie du monde et un refuge semblable à une chartreuse qu’un point de départ pour changer la société.
Bien que n’étant pas familier du genre cyberpunk, ce roman est appréciable, car il tire des potentialités des situations caribéennes actuelles. La domination des grandes entreprises et des monopoles est une réalité dans beaucoup de sociétés insulaires de la région. Par ailleurs, il montre aussi que malgré la modernité, le créole, comme langue, est parfaitement capable d’être dans la modernité et même le futur et donc de survivre à la disparition de la société d’habitation post-esclavagiste, à condition de se mêler aux autres langues. Par contre, quelque chose est gênant dans Tè Mawon, c’est que l’on a du mal à comprendre sur quoi repose la société, manifestement il est question de block chain et de traduction, mais il n’est pas clair de comprendre d’où vient la valeur ajoutée, comme les cryptomonnaies c’est un peu mystérieux, et donc les relations sociales décrites paraissent elles aussi peu claires, même si la topographie (anba lanvil, anwo lanwil, fondok anba lanvil, etc.) désigne bien les dominants et les dominés.
Il est dommage aussi que le livre s’achève sans que le destin d’un grand mouvement social lancé par certains des héros aient abouti et il me paraît un peu inquiétant que la seule perspective soient pour les personnages de finir par se réfugier dans une barak-a-sonjé. Cependant, Tè Mawon est peut-être le début d’un cycle, comme il en existe de nombreux dans la littérature de science-fiction et en tout cas c’est une proposition littéraire intéressante qui comme tout bon livre d’anticipation peut nous aider à réfléchir sur les sociétés caribéennes.

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