C’est avec un poème que commence ce roman, un poème sombre, puis la mort à partir de laquelle tout s’éclaircit. Avec ce roman qui se lit d’une traite au rythme de ses phrases sans points finaux ni capitales, Makenzy Orcel peint une France sombre à travers la parole d’une jeune femme qui se remémore sa vie et nous parle d’au-delà la mort.
Une première partie raconte les derniers instants, les dernières réflexions avant de se jeter sous les roues du métro. Le récit de la jeunesse, introduit par la rencontre des deux géniteurs de la narratrice dessine une série de portraits d’un petit village de la campagne de France, dont personnes ne sort sympathique. La famille de la narratrice dominée par son oncle, le frère de son père, qui viole sa nièce et couche avec la femme de son frère. Ce drame qui vient progressivement au fil des portraits qui font avancer l’histoire est cependant nié par la mère et ignoré par le père de la narratrice, pire, le « drôle de curé » participe lui aussi à ce déni collectif. Seul la présence d’une amie, mais dont on comprend qu’elle disparaît mystérieusement et tragiquement apporte un peu de lumière. Ainsi que des phénomènes merveilleux (enfant cheval, fantômes du mari de la pharmacienne) qui rattache ce roman à la littérature haïtienne.
La vie à Paris de la narratrice fait évidemment penser à toutes ces montées de la province vers Paris qui sont des classiques de la littérature française, mais il n’y a pas de réussite dans la presse, la politique ou le service de la noblesse. Après un mince succès comme poétesse de café, la narratrice finit par échouer dans l’administration d’une collectivité locale de banlieue, grâce à un ami de son père qui reste finalement mystérieux mais lui ouvre une porte de sortie. Comme sa grand-mère dans la première partie, quelques personnages lumineux, notamment sa propriétaire, rescapée de la Shoah et son petit-fils, Nathan, gardien du Père-Lachaise, avec qui la narratrice entretient une très brève relation. Là aussi de brèves apparitions fantastiques ou merveilleuses. Mais surtout, le personnage qui va illuminer sa vie, Orcel, un réfugié malien. Cette période heureuse finit dramatiquement dans les attentats de novembre 2015
Le roman prend ensuite un tour étrange, encore plus expérimental avec une suite de discours soi-disant captés par la narratrice dans des cafés et dessine un certain visage de la France d’aujourd’hui, et aussi l’arrivée d’un effet de distanciation par l’intermédiaire d’une cinéaste « militante de gauche » qui vient donner des indications aux personnages, mais ces apparitions, sans transition dans le fil du récit, les rapprochent aussi d’autres apparitions merveilleuses qui ont déjà eu lieu dans le roman.
Malgré tout, l’histoire suit son cours et une la dernière partie s’ouvre qui chemine jusqu’à la fin avec la rencontre et la relation avec un autre homme, Makenzy, manipulateur et toxique qui conduit la narratrice à sa perte. Des interventions de celui que l’on comprend être Nathan qui lui aussi s’enfonce dans l’alcool assis à un bar interrompent et réfléchissent le récit
Au delà de l’histoire tragique car marquée par un malheur qui ne cesse presque pas du début à la fin du récit. Malgré la diversité des façons de raconter, l’histoire suit son cours et le lecteur, malgré quelques interrogations à certains passages n’est pas perdu dans le récit. L’ensemble est porté par une langue très travaillée, poétique qui prend le lecteur et ne le lâche plus.
En quittant le décor haïtien, Makenzy Orcel fait une entrée notable sur la scène de la littérature mondiale en français.

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